X

La grille rouillée grince, troublant le silence étonnant de la neige...

Maman viendra-t-elle ? La grille que je viens de repousser tremble encore un peu sur ces gonds et déjà le silence épais se referme.

Je regarde autour de moi. L'horizon baigné de lumière verdâtre est absolument désert... l'étrange horizon aux collines approchées, aux vallées aplanies... les lignes adoucies me voilent le paysage familier. Le plateau laborieux où le soir pose un calme douloureux, que ne déchirent pas les cris angoissés des corbeaux. Parfois une branche craque trop chargée de neige, à bien écouter j'entends mille bruits... mais ils ne forment pas une rumeur, entre chacun d'eux le silence tisse un manteau épais comme la neige.

L'uniforme blancheur efface les dissonances, pourtant je mesure le trajet que maman doit parcourir aux deux ombres qui se rencontrent vers l'horizon... C'est là-bas qu'elle apparaîtra...

Mais la voici... un point noir encore les deux lignes noires qui seules indiquent la route... C'est elle sûrement – malgré l'éloignement, je reconnais son col de fourrure... sa démarche... Je vais à sa rencontre. La neige à peine gelée crisse en s'effondrant sous mes pieds. Comme elle est encore loin, je ne voyais pas le trajet si long... Peu à peu sa forme se précise... Ce n'est pas elle, c'est un paysan, emmitouflé dans un gros cache-nez... Je reviens lentement m'asseoir sur la borne, au pied de la grille.

Maman viendra-t-elle ? Peu à peu la neige recommence à tomber... Trois heures et demi. Maman ne viendra pas... Il ne faut pas qu'elle vienne, je sens mes pieds mouillés que la neige pénètre... Il ne faut pas : qu'elle aurait froid ! Je m'attendris sur ce qu'elle souffre peut-être sur la route, sur ce qu'elle aurait pu souffrir... non il ne faut pas...

Et pourtant, si elle venait... malgré tout j'inspecte encore l'horizon... Rien, la neige tombée accentue encore le silence, la solitude... J'ai froid, et maman ne viendra pas.

J'attends encore. Un ultime espoir me tient les yeux rivés vers la rencontre des ornières, inlassablement j'en poursuis le tracé... mais non... peu à peu la neige les emplit, tout se voile... maman ne viendra pas...

« J'attendais comme toi ma mère... C'est idiot car elle ne pouvait pas venir par un tel temps ! »

Quelqu'un me parle, m'a pris le bras. Un garçon de ma classe. Alain Louis-Dumas, c'est bien lui, sa broussaille de cheveux noirs bouclés, mêlés de neige, ses grands yeux verts rougis par le froid.

« C'est idiot, poursuit-il, mais tous les Dimanches, j'attends ainsi ma mère, il me semble qu'elle ne peut pas ne pas venir, j'ai trop besoin d'elle... »

« Moi aussi »

Ce « moi aussi » a tout dégelé entre nous, je sens que désormais nous sommes amis, sans transition nous passons à nos goûts :

« Tu aimes le parc, moi aussi... Je te montrerais un coin dans l'île où on pourrait faire quelque chose d'épatant... C'est bête que nous ne soyons pas dans la même maison nous nous serions vus le soir... »

La cloche nous appelle pour le thé, chacun de nous rentre dans sa maison... mais quelque chose a changé ici, désormais j'ai un ami.

Dans ma joie j'éclabousse de neige le grand Montferrand, il va me gifler, je pâlis déjà... il passe en sifflotant sans faire attention à moi... évoquant sa pâle figure anguleuse, ses bras un peu tordus, son front trop grand qui semble lourd de ride. Mais Alain m'évite.